Un des aspects fondamental de Zhan Zhuang est l’habilité à pouvoir « aligner notre corps ». Plus généralement, ces principes sont également applicables en tai chi et qi gong. Mais concrètement, quelles sont les étapes à suivre ?
J’ai récemment repris la lecture de « A comprehensive guide to daoist neigong » de Damo Mitchell et j’ai trouvé le chapitre dédié à l’alignement du corps très intéressant. On y retrouve notamment cette liste:
- Placement correct des pieds
- Alignement des genoux
- Utilisation du Kua
- Alignement du bassin et du bas du dos
- Étirement de la colonne vertébrale
- Sentir ses épaules jusqu’aux pieds
- Laisser s’enfoncer les coudes
- Alignement de la tête et du cou
- Laisser s’enfoncer la poitrine
- Laisser s’enfoncer le coccyx
- Ouvrir les tendons
(dans le texte original, « laisser s’enfoncer » est écrit « sinking » en anglais. Il n’est pas évident de trouver une traduction parfaite en français, mais je trouve que laisser s’enfoncer traduit assez bien le sens)
De manière générale, ces éléments doivent être appliqués et examinés dans l’ordre. Si vous découvrez certains concepts, ceux-ci sont alors appliqués de manière actives, mais à l’utilisation, vous intégrerez l’usage de ces principes qui s’appliqueront alors passivement (naturellement).
Je vous propose par la suite les éléments qui m’ont le plus frappé dans les explications de Damo Mitchell. Celles-ci sont bien souvent largement inscrites dans une logique d’énergétique chinoise… Pour ma part, je préfère parfois avoir une lecture plus neutre de ces principes.
Placement correct des pieds
A l’image d’une maison dont les fondations garantissent notre stabilité, nos pieds offrent la stabilité à notre corps. Leur bon placement et utilisation permet ensuite d’aligner le reste du corps verticalement.
L’erreur principale que l’on rencontre est de placer le poids du corps dans les talons. En effet, si les talons sont en contact avec le sol, c’est en réalité l’avant-pied qui doivent pouvoir supporter notre poids. Cela permet d’activer idéalement nos fascias, là où le poids dans les talons donne une posture « lourde ».
Le poids est porté sur la base des métatarses du gros orteil et du petit orteil. Cela ouvre l’espace entre ces deux points (la « source bouillonnante » dans les points d’acupuncture).
Alignement des genoux
L’élément principal à retenir ici est que les genoux ne supportent pas le poids du corps mais doivent le laisser « passer ». Il faut donc certainement éviter de trop fléchir les genoux. De manière générale, dans mes cours, j’ai supprimé l’idée de « plier les genoux » pour remplacer cela par la notion de « s’assoir », qui a pour effet indirect de plier les genoux. Cela évite les pressions excessives sur les genoux.
Damo Mitchell insiste sur le fait que cette étape permet de placer le centre de gravité dans la région du dan tian (le bas de l’abdomen) mais en réalité je pense qu’il est possible d’avoir différents niveaux de flexions des genoux tout en restant bien centré. L’invitation serait donc surtout de prendre le temps de sentir et trouver une hauteur qui convient (pour ne pas être sous stress sans pour autant « flotter »).
L’utilisation des kuas
J’ai bien apprécié l’illustration de ce chapitre pour situer les kuas:
Bien souvent, les débutants n’engagent pas assez cette région du corps. Pourtant, avec l’idée de s’assoir en l’air, cela se produit assez naturellement. Il faut aussi noter que dans un premier temps, c’est bien souvent notre chaîne antérieure/externes qui vient supporter l’effort (quadriceps & co) alors que l’on veut progressivement basculer l’effort sur la chaîne postérieure/interne (fessiers & co).
Alignement du bassin et du bas du dos
Il existe toutes sortes d’idées sur la façon d’aligner et étirer le dos dans les postures de qi gong. Une idée qui circule couramment est l’idée de « rentrer le coccyx » de manière forcée. Générer des tensions dans le bas du corps est une erreur et globalement, une mauvaise idée si l’on cherche à se détendre. Ce « conseil » est bien souvent sorti de son contexte (qui vise à augmenter l’utilisation de la chaîne postérieure, ce qui peut avoir du sens dans certains contextes martiaux), mais pour ce qui du qi gong ou de la posture en général, c’est vraiment à éviter.
En réalité, c’est assez simple : il suffit de laisser « pendre » le coccyx et laisser la région lombaire s’étirer naturellement. Parfois la région lombaire semble « remplie » mais cela ne veut pas dire pour autant que la colonne a perdu sa courbure naturelle. Cela peut aussi globalement dépendre de la physionomie de chacun, éviter donc de copier la posture d’une autre posture et « forcer » une correction qui n’a pas lieu d’être: confort est ici le maître mot.
Étirement de la colonne vertébrale
Suite logique du point précédent, la colonne vertébrale doit être étirée, mais à nouveau sans forcer ou appliquer des contraintes localement. Il faut toujours prendre la colonne dans son ensemble et respecter ses courbures naturelles (sans chercher à avoir une colonne « droite comme un i »).
Un point intéressant que soulève Damo Mitchell est qu’à partir du moment où l’on cherche une ligne verticale dans la colonne, la posture finit par être légèrement penchée vers l’avant à cause du volume thoracique à l’avant de la colonne. Ceci est naturel, mais peut sembler contre-intuitif.
Il est possible d’ajuster notre poids en s’assurant que le sommet de la tête est « étiré » (et oui, comme le premier des dix principes de Yang Cheng Fu) et s’assurer que le poids tombe bien sur nos pieds en ajustant nos kuas. Le sommet de la tête se retrouve ainsi aligné avec la « source bouillonnante » (yong quan) des pieds.
Sentir ses épaules jusqu’aux pieds
La première recommandation ici est de d’abord bien sentir la position de nos épaules. Celles-ci peuvent être vers l’avant ou trop vers l’arrière. Essayez simplement de soulever les épaules puis relâchez-les progressivement. Ceci devrait créer une légère pression au niveau des pieds.
De manière générale, quand on parle « d’épaules » en tai chi ou en qi gong, j’aime rappeler que l’on parle aussi bien souvent des omoplates, qui sont la vraie source de contrôle des épaules. Ainsi, sentez le poids des omoplates et laissez-les descendre. Ceci devrait aider à atteindre la sensation voulue.
Laisser s’enfoncer les coudes
Lorsque les épaules sont en place, les coudes peuvent suivre naturellement. En laissant les coudes s’enfoncer vers le sol, une légère traction se produit dans les épaules et vient contribuer à la sensation de poids dans les pieds. Ceci va venir contribuer au mouvement de l’omoplate. Attention ! A nouveau, ne pas « forcer » ce geste, laissez simplement la détente faire son travail.
Lorsque l’on détend les omoplates, cela tend à naturellement venir écarte les coudes du corps, créant un espace sous les aisselles.
Alignement de la tête et du cou
Je suis bien d’accord avec Damo Mitchell quand il dit que « Suspendre la tête à un fil et laisser s’enfoncer la poitrine est un couplage important ». C’est d’ailleurs un point que je mentionne dans les 10 principes de Yang Cheng Fu… en réalité, cela devrait être plutôt un seul et même point car cela participe de la même dynamique interne.
Suspendre la tête ouvre les vertèbres cervicales. Je trouve bien souvent que les élèves « forcent » ce travail. J’aime bien leur proposer l’image d’avoir un vase sur la tête que l’on ne veut pas faire tomber. Le surcroit d’intention suffit amplement à obtenir l’attitude juste.
L’effet opposé à cela est le relâchement de la poitrine, plus spécifiquement le haut de la poitrine. On peut vraiment imaginer l’espace au niveau des clavicules / sous la pomme d’adam « couler » vers le bas.
Laisser s’enfoncer le coccyx
Cela peut sembler paradoxal de revenir au coccyx alors qu’on s’est déjà occupé du bas du dos, mais d’après Damo Mitchell, ce dernier point vient « verrouiller » les différents alignements mis en place précédemment. Je n’ai pas vraiment constaté cela, mais je peux imaginer que cela dépend un peu de vos habitudes et la façon dont vous organisez votre perception interne.
J’ai trouvé intéressant le paragraphe suivant :
Si nous enfonçons [laissons s’enfoncer] correctement le coccyx, la majeure partie du travail de soutien à la base du corps est terminée.
On dit souvent qu’il faut soulever le périnée, mais il n’est pas nécessaire de le faire, ni de faire quoi que ce soit de ce genre, dans notre pratique.
L’enfoncement correct du coccyx fournit tout le soutien dont nous avons besoin.
On retrouve souvent cette idée en qi gong que « soulever » le périnée à l’expiration permet d’éviter les « fuites de qi » (j’ai toujours été dubitatif à cette idée même si je suis sûr qu’il doit y avoir un raisonnement à l’origine de cela).
Pour en revenir au coccyx, imaginez simplement les muscles autour du sacrum se relâcher et libérer le coccyx. L’ouverture de cette région du corps peut être difficile, et à mon avis, relativement imperceptible, mais ce sera votre ressenti qui pourra le mieux vous guider.
Ouvrir les tendons
Pour Damo Mitchell, l’ouverture et l’étirement final de la posture se fait grâce aux doigts. Il compare cela à l’accordage d’une guitare : il faut trouver la juste mesure d’étirement dans les doigts et de la paume. Vous remarquerez alors par la suite que l’étirement ne se limite pas aux mains mais traverse tout le corps.
Cela peut sembler un peu bizarre mais en réalité on a déjà « placé » toutes les autres articulations pertinentes (chevilles, genoux, bassin, colonne, épaules, coudes, nuque…) dans les points précédents. Les mains sont donc « le point final » de cet ajustement postural.
Et voilà pour cet article sur l’alignement de la posture. J’espère que ces éléments pourront vous aider dans la pratique du qi gong, du tai chi et surtout des postures statiques.