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Tai Chi

Peut-on envoyer du chi ?

Quand on parle de tai chi, il n’est pas rare que l’on parle d’énergie. Celle-ci doit « circuler », il faut « libérer les blocages ». Et certains disent même qu’ils peuvent envoyer leur chi, pour soigner ou, au contraire, affecter leur adversaire, parfois même à distance. Que faut-il en penser ?

Une petite clarification d’abord

Juste parce que la confusion se produit souvent, il est utile de rappeler qu’en chinois « chi » s’écrit en réalité « qi » 气 ou 氣 en pinyin. Ce mot est souvent traduit par « énergie » mais rappelons que ce mot ne se traduit pas du tout comme ça et signifie plutôt « air, respiration, gaz ». Bref, quelque chose d’assez vaporeux. Et aussi, que dans « tai chi », il faudrait écrire « tai ji ». Il n’y a donc pas de qi dans le terme tai ji quan.

Ceci devrait nous suffire pour être prudent quand on parle « d’envoyer de l’énergie », comme si un fluide mystérieux pouvait circuler à distance. Et pourtant, de nombreuses pratiques se targuent de pouvoir faire cela, en reiki par exemple. Mais du coup, est-ce seulement possible ? Ou s’agit-il de charlatanisme pur et simple ?

Garder l’esprit ouvert

La première chose que j’aimerais dire, c’est que je ne doute pas de la bonne foi des personnes qui disent faire ce genre de pratique. Et surtout, je ne doute pas que certains bénéfices peuvent en être retirés. Mais par contre, ces bénéfices ne résultent peut-être pas toujours de l’explication que l’on veut bien leur accorder.

Je suis sur le point de finir la lecture du livre Tai Chi Concepts and Experiments de Robert Chuckrow, et il accorde justement un chapitre de son livre à ce sujet, ce qui m’a poussé à écrire cet article.

tai chi concept and experiments rober chuckrow cover livre
Un très chouette livre dont je vous parlerai plus en détail dans un prochain article

Le point de vue de Robert Chuckrow

Voici ce qu’il en dit :

J’ai fini par accepter qu’un être sensible puisse influencer les impulsions bioélectriques ou d’autres conditions internes d’autrui même si les actions externes de cet être ne peuvent être perçues par les sens connus (vue, ouïe, pression, etc.) des autres. Bien sûr, pour que de tels effets se produisent, une connexion doit être établie, et il doit y avoir une réceptivité de la part des autres. D’autres conditions sont peut-être nécessaires.

Tai Chi Concepts and Experiments, Robert Chuckrow

Il est intéressant de mentionner à ce stade que l’auteur à un Ph.D en physique et qu’il va chaque fois être très clair sur ce qui est scientifique et ce qui ne l’est pas. Cela ne l’empêche pas de formuler ses propres hypothèses, même si à ce stade elles ne sont pas vérifiées scientifiquement. Pour ma part, je trouve cette honnêteté est très rafraichissante.

J’ai adopté l’idée que, au lieu de penser que j’envoie du qi de guérison à une autre personne, je ne fais qu’intensifier mon qi pour assister l’auto-guérison de cette personne. Je considère que le receveur active et intensifie son propre appareil de guérison, même à distance. Cette vision a l’implication fortuite que rien de moi n’est dépensé lorsque je fais de la guérison sur un autre.

Tai Chi Concepts and Experiments, Robert Chuckrow

J’aime beaucoup cette dernière phrase, car j’ai déjà entendu de nombreuses personnes qui travaillent dans les soins énergétiques d’écrire comme elles ont « beaucoup dépensé d’énergie » pour soigner d’autres. Cela ne colle absolument pas avec la façon dont j’imagine que cela se passe. Beaucoup de personnes qui ont des dons de guérison expliquent qu’au contraire, elles ne servent que de catalyseur à une force externe.

Mais du coup, peut-on envoyer du chi ou pas ?

Vous l’aurez compris, je suis plutôt partisan du fait que non, le qi/chi ne peut pas « s’envoyer » au sens propre. Cela serait lui assumer des propriétés dont il est dépourvu. Ceci est d’ailleurs vrai pour les autres types de manipulation à distance « martiales » comme on peut parfois voir sur internet.

Une explication peut être que […] l’entraînement à la force vide est un outil qui prépare les élèves à devenir sensibles aux intentions négatives d’un autre et à réagir en conséquence. La sensibilité qui en résulte leur permet d’être plus à même de se mettre en sécurité. Cependant, ceux qui ne sont non-formés ne seront probablement pas affectés […]

Tai Chi Concepts and Experiments, Robert Chuckrow
Incredible fight between a Kiai master and a MMA fighterIncredible fight between a Kiai master and a MMA fighter

😉 et sur ce, je vois souhaite une bonne pratique. Cultivez bien votre qi jusqu’au prochain article!

10 réponses sur « Peut-on envoyer du chi ? »

Ah c’est une bonne question (et effectivement je me demande ce que ça donne pour les autres…). Mon approche actuelle est que le mot « qi » est un peu un concept trop fourre-tout et qu’on a vite tendance à coller cette étiquette sur des phénomènes différents.
Donc en termes de ressenti, il y a différentes choses :
1. tout d’abord, il y a l’aspect mécanique des étirements/tonicités des fascias, qui peuvent donner une impression de « courant » qui fonctionne en parallèle des muscles
2. le fait de mobiliser le corps en détente augmente bien entendu la circulation sanguine (on voit d’ailleurs souvent cela sur la paume des mains des pratiquants qui gagnent vivement en couleur). En termes de sensation, ça se traduit notamment par de la chaleur mais aussi d’autres sensations internes qui sont plus difficiles à décrire (en fait, on résume souvent nos perceptions à nos 5 sens externes, mais le sens kinesthésique est très riche).
3. enfin, et ça c’est l’aspect sans doute le plus mystérieux qui peut parfois donner lieu à certaines vidéos difficiles à croire, il y a une forme de magnétisme qui se crée (de là à savoir si c’est vraiment du magnétisme… enfin, j’ai lu dans un livre qui s’appelle la Résilience tissulaire qui explique que ce serait effectivement quelque chose de cet ordre.. enfin je pense que c’est là que j’ai lu ça 🙂 ). C’est d’ailleurs, à mon sens, souvent cette propriété « d’alignement magnétique » qui est utilisé dans les arts type reiki, imposition des mains, etc (et qui fait que la pratique du qi gong un outil qui aide au don de « guérison » au sens large). A noter qu’il n’y a donc toujours, à ce stade, aucun transfert d’énergie comme je le dis dans l’article. C’est aussi difficile de quantifier l’importance/existence réelle de ce phénomène, mais qui sait peut-être qu’un jour la science trouvera quelque chose 🙂 (les points 1. et 2. sont déjà bien suffisants comme intérêts pour la pratique)

Merci pour cette réponse claire et honnête!
J’espère que d’autres personnes vont répondre car c’est vraiment quelque chose qui m’intrigue et je crois que tous les pratiquants de taichi se demandent tous, à des degrés différents, si et comment les autres vivent ce fameux qi. Voici l’occasion d’éclaircir un tout petit peu ce mystère 😉 …

Merci pour cette réponse claire et honnête!
J’espère que d’autres personnes vont répondre car c’est vraiment quelque chose qui m’intrigue et je crois que tous les pratiquants de taichi se demandent tous, à des degrés différents, si et comment les autres vivent ce fameux qi. Voici l’occasion d’éclaircir un tout petit peu ce mystère 😉 …

Bonjour.
Tout d’abord je trouve votre blog très intéressant. Ensuite je ne partage pas votre point de vue sur le qi selon lequel vous semblez penser que le qi ne peut être efficace qu’envers des personnes « conditionnées car préparées » à le recevoir. En effet, ancien élève de Maître Chu King Hung, lors du 1er stage avec lui dans les années 90, période où son tai chi avait un objectif plus martial que celui qu’il semble pratiquer aujourd’hui, à voir ses vidéos et l’évolution du tai chi qu’il enseigne, pratiquant alors le karaté en même temps que je commençais le tai chi, j’ai profité de cette 1ère rencontre avec lui pour lui « rentrer un peu dedans », expression impropre signifiant que je l’ai testé en étant tout sauf léger comme plusieurs autres participants qui ne l’avaient pas encore rencontré, ce qu’il n’a d’ailleurs guère apprécié, nous le reprochant ensuite en nous demandant de travailler de façon plus légère. Cependant, de ce rentre-dedans en un contre un, ce qu’il pratiquait alors pas mal alors qu’aujourd’hui il semble plus intéressé par de longues lignes d’opposants ce dont je ne suis pas fan, il en a résulté des projections en retour qu’un simple effet physique ne peut expliquer, certaines personnes se blessant d’ailleurs assez sévèrement, en retombant notamment sur les poignets du fait qu’elles ne s’attendaient pas à de telles projections sur un simple repoussé fait pourtant très doucement par lui, et il n’a alors fait aucun doute pour moi que le qi existait. Une fois même, sur un repoussé de Maître Chu lors d’un exercice de poussée des mains avec lui, c’est le mur qui m’a arrêté après une bonne dizaine de mètres alors que je n’arrivais plus à m’arrêter, mes jambes semblant marcher toutes seules en reculant. Par la suite d’autres exercices avec lui lors d’autres stages n’ont fait que renforcer cette conviction, notamment une fois où il me tendait ses poignets que j’étais incapable de saisir, un champs de force semblant les entourer. Alors peut-être que le qi projeté a une action sur le propre qi de la personne sur laquelle il est utilisé, mais il n’en demeure pas moins que si l’on sait s’en servir, pour moi il doit pouvoir être utilisé même sur des personnes qui n’y sont pas préparées. D’ailleurs, à une époque où j’arrivais à faire de « petits trucs » avec l’énergie (je fais du tai chi seul depuis plusieurs années donc je ne sais où j’en suis actuellement), j’ai d’ailleurs moi-même utilisé le qi sans le faire exprès (et donc sans savoir si cette expérience pourrait être ré-éditée, ce que je ne tenterais bien évidemment pas volontairement) dans une situation un peu compliquée sur une personne qui ne s’y attendait pas, le résultat ayant été sur elle fulgurant.

Bonjour,
Merci pour ce commentaire très constructif.

La problématique du qi est complexe ^^ premièrement parce que c’est un terme un peu « fourre-tout » derrière lequel différentes personnes mettent différentes significations. Ici l’article fait spécifiquement référence à la notion du « transfert » d’énergie, comme si on pouvait « donner » cette force, ce à quoi je ne crois pas vraiment, en tout cas pas tant que tel.

Pour ce qui du tai chi chuan, je pense à nouveau que le terme « qi » est trompeur, et je préfère nettement parler de jin, voire de nei jin, la force interne et qui est bien réelle. C’est à mon sens plutôt cela qu’utilisent les maîtres comme chu king hung et qui peut produire des effets qui peuvent paraître surprenants au premier abord.
Néanmoins, force est de constater que malgré ces pouvoirs qui semblent parfois mystérieux, ceux-ci passent rarement l’épreuve de la réalité face à des pratiquants entraînés, c’est d’ailleurs tout l’objectif de Xu Xiaodong qui a d’ailleurs proposé à n’importe quel maître chinois de le rencontrer dans un ring. Il n’a pas encore été vaincu…

L’entraînement de la force interne reste très intéressant. Elle peut être utilisée de façon martiale ou au contraire plus personnelle comme simplement la compréhension de son propre corps ou la santé.

Je reprends le terme de « QI » parce que c’est celui qu’utilisais Maître CHU (disant parfois à la place en anglais « énergie » ou « souffle interne »). J’ai donc tendance à penser que c’est bien le terme qui correspond à ce que je pouvais utiliser, même avec des gens qui n’étant pas issus du tai chi (devant sûrement aujourd’hui encore mieux l’utiliser car je pense m’être amélioré), ce que beaucoup d’autres élèves de l’ITTCA que je côtoyais pouvaient faire.
En ce qui concerne le combat avec un combattant de MMA, je pense qu’il faut vraiment être inconscient pour oser une telle confrontation, et cela même pour quelqu’un maîtrisant un tant soit peu l’énergie interne : le manuel attribué à yang ban hou, que vous évoquez dans un autre article, est assez intéressant sur ce point puisqu’il distingue bien l’aspect martial du tai chi avec son aspect « civil », expliquant que celui qui est ou trop martial ou trop civil ne peut pas être un combattant efficace avec l tai chi car ne pouvant utiliser correctement l’énergie interne dans une situation de combat. Comme, même si je ne suis pas bagarreur, je n’ai jamais cherché à éviter un combat sauf quand il était vraiment trop déséquilibré, il m’est donc arrivé de me battre ou d’être obligé de me défendre contre des personnes habituées à se battre qui voulaient m’imposer leur volonté, je sais me battre et je sais aussi ce qu’à mon niveau peut apporter le tai chi en combat et ce qu’il ne peut pas apporter. Cela me semble d’ailleurs tout à fait correspondre à ce qui est expliqué dans ce manuel attribué à yang ban hou, ayant donc tendance à penser que, soit ce manuel est authentique, soit il est grandement inspiré des principes internes du tai chi développés par la famille Yang, qu’expliquait Maître CHU lors de ses stages. Il n’en demeure pas moins que je ne suis pas assez stupide ou vaniteux pour tester contre un combattant hyper-entraîné de MMA ou de n’importe quel autre art de combat « externe », ce que je pense avoir compris de l’énergie interne et de comment il est possible de l’utiliser, sauf à ce que je n’ai pas d’autre choix parce que ma vie risquerait de dépendre de l’issue du combat. En effet, utiliser l’énergie devant un public, critique ou non, est déjà compliqué, car de simples tensions peuvent provoquer une contraction, même légère, empêchant ou limitant la libération de l’énergie, c’est donc bien logiquement encore pire lors d’un combat réel, qui plus est face à un combattant « externe » émérite. Et même à supposer qu’un tel pratiquant de tai chi existe, lors du combat peu de personnes pourraient voir le côté interne de son combat : mettre des coups de pieds ou de poings de la même façon qu’ils sont exercés dans la forme ne conduirait pour moi qu’à l’échec. Je pense en effet personnellement que la forme n’est qu’un exercice destiné à développer et comprendre comment fonctionne l’énergie. De ma propre expérience, pour être efficace lors d’un combat, les coups de pieds ou de poings doivent donc être donnés de façon pratiquement « normale », même s’il y aura des petites différences imperceptibles pour le spectateur lambda, le combattant « externe » alignant les muscles pour que ceux-ci puissent développer une puissance musculaire quand le combattant « interne », par son travail de la forme et d’autres exercices internes, alignera, ceci sans y penser, par réflexe, sa position pour donner ces coups de poings ou de pieds pour que l’énergie puisse agir, ce qui nécessite aussi qu’il soit ni trop « civil » ni trop martial et qu’il ait aussi une très grande confiance dans ce qu’il fait malgré le danger encouru. A supposer donc qu’un combattant « interne » batte un combattant de MMA ou autre, tout le monde dirait que c’est parce qu’il a touché un point sensible ou parce qu’il est très puissant, personne ne pouvant y voir l’application de l’énergie. On aurait donc exactement les mêmes discussions que celles qui existent qu’aujourd’hui : ceux qui pensent que l’énergie existe diraient que c’est l’énergie qui lui a permis de gagner, ceux qui pensent que ça n’existe pas diraient qu’il n’y a aucune énergie, que c’est juste un combattant avec une puissance de frappe folle ou parce qu’il a eu un coup de bol en tapant au bon endroit, ou même encore parce que le combattant « externe » a bien voulu se faire battre, qu’elle qu’en soit la raison.

Je sais bien que c’est le terme que tout le monde utilise… mais c’est justement cela le problème 🙂 les traductions sont probablement encore pires (énergie, souffle interne…). À plus forte raison vis-à-vis de personnes qui ne pratiquent pas le tai chi et qui risque d’encore moins comprendre ce que recouvre ce mot.
C’est un exercice très intéressant d’essayer de parler de tai chi sans utiliser ce concept de qi (enfin, en tout cas moi j’ai trouvé ça intéressant dans mes cours, ça m’a obligé à aller chercher plus loin et parfois d’avoir des réponses plus pragmatiques).

Oui les arts internes ne sont pas faciles à reconnaître, surtout pour un oeil non entraîné… à mes yeux, il n’y a pas vraiment de raison qu’un pratiquant de tai chi qui le souhaite ne puisse pas battre un pratiquant de mma: il y a absolument tout ce qu’il faut dans la boîte à outil du tai chi chuan (enfin, quasi: le travail au sol est nul 🙂 ). Mais bon, les écoles n’enseignent pas le tai chi comme ça, et c’est peut-être tant mieux d’ailleurs. Comme je le dis souvent à mes cours, même si l’aspect martial m’intéresse, me battre ne m’intéresse pas et je ne compte pas spécialement passer mon temps à m’entraîner dans cet objectif.

Je viens de laisser un commentaire mais j’aurais préféré rester anonyme pour garder ma tranquillité. Pouvez-vous mettre seulement mes initiales (IL) à la place de mon nom. Merci.

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