En interrogeant des maîtres ou des professeurs de tai chi sur la façon de faire la forme, nous obtenons parfois la réponse suivante : oh, mais tu fais simplement le mouvement de façon naturelle. J’ai toujours trouvé cette réponse très peu éclairante. J’ai demandé à mon chat s’il savait ce qu’était un mouvement naturel, malheureusement il ne m’a pas répondu. Il ne me reste plus qu’à faire comme les sages taoïstes, et observer la nature.
Naturel n’est pas toujours juste
Nous ne pensons généralement pas à notre posture ou à notre système locomoteur. Tout cela se produit inconsciemment et avec une relative efficacité. C’est heureux d’ailleurs, ce serait très contraignant de devoir y réfléchir consciemment en permanence!
Par contre, vous l’aurez compris, quand je parle que c’est « relativement efficace », ça ne l’est malheureusement pas toujours autant que ce serait souhaitable car de nombreuses choses peuvent se mettre dans le chemin d’une mobilité optimale:
- Des tensions physiques ou des douleurs peuvent altérer le mouvement
- Ou au contraire, vous êtes trop mobile (hyperlaxe) et vous pouvez bouger trop, ou selon des angles qui mettent sous stress vos articulations
- Nous sommes aussi influencés par des facteurs externes : des chaussures aux semelles trop épaisses, des surfaces dures ou molles…
L’importance de comprendre la biomécanique
Un autre constat malheureux, c’est que bien souvent, nous ne connaissons nous-même qu’assez peu notre corps. Notre attention est souvent orientée vers l’extérieur de nous-même, dans notre travail, en regardant un écran… et pourtant, notre corps n’est pas un simple véhicule dont on peut ignorer le fonctionnement. C’est un peu comme avec une voiture : si vous ne regardez pas les voyants qui vous disent qu’il n’y a plus assez d’huile ou qu’il faut faire l’entretien, on finit par avoir des problèmes.
Heureusement, nous vivons dans une période merveilleuse où de nombreuses ressources existent pour nous aider à mieux nous comprendre. Une dimension importante à appréhender est celle de la biomécanique et quoi de mieux que de voir de manière animée ce qui se passe dans notre corps. Une précieuse ressource nous est offert sur la chaîne Anatomie 3D Lyon. Tous les pratiquants de tai chi (et de n’importe quelle autre pratique, d’ailleurs) devrait avoir vu les vidéos suivantes:
- L’épaule. Un concept dépassé. Nouveaux concepts : où l’on comprend bien l’importance de l’omoplate
- Le pied amortisseur : où l’on voit bien d’ailleurs que la réception talon n’est pas une bonne idée…
- Vidéo sonorisée Placement du bassin – charnière lombo-sacrée, Articulation de la hanche, Vidéo sonorisée L’ilio-psoas : important pour comprendre ce qui se passe au niveau du bassin et de la hanche.
- Le fascia thoraco-lombaire. Son rôle dans la proprioception, Le tronc considéré comme une structure hydropneumatique, Vidéo sonorisée Diaphragme Périnée Intercostaux : comprendre le tronc et la respiration
Bon, quoique ces vidéos sont très claires, ce n’est pas nécessairement évident de savoir ce que cela implique concrètement pour notre pratique.
Comprendre sans simplifier
Le danger après avoir vu des vidéos comme cela d’anatomie, c’est qu’on aurait tendance à se dire que c’est simple en fait. Ce serait perdre de vue que le corps est une réalité complexe. Comme je le disais dans mon article précédent sur le Tao Te King, le risque c’est justement de penser avoir compris, au risque de ne plus observer finement ce qui se passe en nous.
Du coup, la clé pour un mouvement « naturel » est double : d’une part, cela requiert une compréhension de comment fonctionne votre corps et d’autre part, et c’est sans doute le plus important, de s’observer lorsque vous bougez.
Vous aurez beau comprendre intellectuellement comment bouge votre épaule, si vous ne vous rendez pas compte qu’elle est bloquée par des tensions physiques, elle ne bougera jamais « naturellement ».
La forme comme outil
Du coup, c’est tout l’intérêt de pratique la forme du Tai Chi Chuan: pouvoir explorer toutes les dimensions du mouvement et ses dynamiques. On ne peut pas simplement la comparer à un exercice de rééducation, car il y a (généralement) une dimension martiale dans la forme. Cela veut dire que chaque mouvement a une fonction et que le corps doit rester stable et puissant à chaque instant du déplacement. Et cette intention est capitale : c’est très différent de déplacer son corps lorsque l’on travaille avec l’idée d’une opposition potentielle qui peut survenir à tout instant!
Cela nous explique aussi les grandes variabilités que l’on peut rencontrer dans les formes de tai chi. Certaines vont favoriser la mobilité et la souplesse, d’autres la puissance et la stabilité. Certaines acceptent des inclinaisons du tronc, d’autres pas. Certaines accentuent la dimension martiale et ne comportent pas de mouvements qui pourraient néanmoins être intéressants pour votre mobilité. Certaines utilisent des mouvements avec des grandes amplitudes, d’autres préfèrent se concentrer sur des mouvements plus fonctionnels du quotidien. Certaines comportent des accélérations, d’autre préfèrent un rythme uniforme…
Vous l’aurez compris, il n’y a pas de forme « idéale ». Chaque forme comporte un ensemble de compromis dans sa conception selon ses objectifs.
Pour en revenir au sujet original de cet article, l’objectif est donc de cultiver un mouvement « naturel » optimal. Pour cela, la compréhension et l’observation du corps sont la clé. Vous ne pouvez pas simplement bouger à l’aveugle, en vous disant « le mouvement c’est la vie » et vous dire que cela va corriger des désordres posturaux. Veiller à l’équilibre postural, ne pas être tendu sans être mou, être stable sans être bloqué, être relâché en conservant l’organisation posturale… c’est à cultiver au quotidien, si nous voulons nous déplacer avec autant de naturel que notre ami le maître chat.
2 réponses sur « C’est quoi un mouvement naturel ? »
Est-il alors reellement justifie de revendiquer la possession de la forme originelle ou la creation du Tai Chi Chuan comme on l entend parfois ? Peut etre dans l apparence de la forme : c est a dire un enchainement de mouvements d origine martiale. En effet lorsque l on regarde les formes des 3 grandes familles, elles sont tout de meme tres differentes.
C’est une excellente question et je me la pose régulièrement 🙂 J’y réponds en partie dans mon article sur l’histoire du style Yang, mais je pense que tout est une question de perspective. A l’origine, il y avait la boxe de la famille Chen, ça c’est certain. Yang Lu Chan, quant à lui, a modifié certains concepts. C’est impossible de savoir précisément ce qu’il pratiquait, mais on sait comment le style a évolué, et il est assez apparent à présent que les mécaniques du style Yang et Chen ne sont plus les mêmes (tout en ayant aussi des points communs vu l’origine du style yang). C’est pour ça que je considère le style Yang comme étant le « vrai » Tai Chi Chuan, mais je mets des gros guillemets car ça ne le rend pas « mieux » que le style Chen par exemple, juste différent. Les styles Wu, Wu Hao, Sun … sont tous dérivés du style Yang. Les mécaniques sont d’ailleurs globalement les mêmes qu’en style Yang.
A côté de ça, au-delà de l’apparence de la forme, ce qui compte, c’est la mobilisation de l’énergie interne. Et celle-ci est globalement peu visible de l’extérieur, même pour un oeil entraîné. Peu importe le style, c’est très facile de faire du tai chi et de ne mobiliser aucune énergie interne (ou peu), c’est alors un peu comme un exercice de gymnastique ou de la danse : c’est utile, c’est chouette, mais ce n’est pas du tai chi, même si ça y ressemble. La question qu’il faut se poser, c’est qu’est-ce qui fait que le tai chi est du tai chi (comparé, disons, à du kung fu shaolin).